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Au Diable la Foi

Chapitre 11 : Le golem de ronce

 

La pluie tombait lentement sur les carreaux, faisant résonner des « tic » à intervalles rapprochés dans la chambre d'Aurore, l'ensorceleuse sans fin.

 

Elle était la seule des cinq ensorceleuses à pouvoir vivre à la surface, puisqu'elle était la plus puissante de toutes. Plus même que le Chaperon Rouge, qui a pourtant une réputation sans commune mesure. Et contrairement à Raiponce, Aurore avait tout le contrôle sur sa magie et son esprit, condition nécessaire pour ne pas finir dans le ventre des dévoreuses.

Ici, personne ne connaissait sa nature. On prenait Aurore pour une mortelle. Elle passait ses journées à coudre et ses nuits à danser sous une autre apparence, plus jeune.

Parfois on venait la voir, la croyant guérisseuse. Alors, contre un repas chaud ou quelques sourires, elle soignait brûlures et maladies.

Certaines sorcières (les plus puissantes, celles qui ont résisté à la mort ou à la folie) savaient qu'Aurore était une ensorceleuse. Parfois elles lui rendaient visites à des dates qu'elles croyaient symboliques et lui demandaient de quelle manière elle s'y était prise pour traverser les siècles sans perdre de sa puissance ni vieillir.

Aurore inventait alors des mensonges, racontant à chaque fois une histoire différente, et les sorcières repartaient en la croyant folle.

C'étaient elles, les folles, à penser que l'on peut échapper à la mort sans dommage. Cent ans et un royaume avaient été sacrifiés pour sa vie éternelle. Et contrairement au désir de ces sorcières, Aurore n'avait pas eu le choix.

Elle était ensorceleuse à cause de trois fées, à cause de leurs trois vies, leurs trois puissances, et le sommeil centenaire du royaume dont elle était la princesse à l'époque.

Contrairement à la douce histoire que l'on raconte aux enfants aujourd'hui, le royaume ne s'était pas réveillé en même temps qu'elle… Non, quand elle avait ouvert les yeux et qu'elle avait marché jusqu'au balcon de sa chambre, la plus haute salle dans la plus haute tour, elle avait pu voir son royaume endormi se dissiper lentement dans l'air, comme le feu des bougies que l'on souffle, jusqu'au château dans lequel elle se trouvait.

En voyant tous ceux qu'elle aimait disparaître ainsi sous ses yeux, elle avait voulu pleurer… Mais une des choses qu'on lui avait enlevées était aussi le droit de verser des larmes. En cent ans de sommeil, elle était devenue aussi sèche qu'une plante fanée.

Toutefois, elle était belle, si belle que les hommes l'aiment quelle que soit l'époque, quels que soient leurs goûts. Ils viennent la voir, lui font la cour, et ne la haïssent même pas quand elle se doit de les repousser…

Pourtant, un jour, elle avait rencontré quelqu'un avec qui elle aurait pu vivre éternellement, avec qui elle avait cru pouvoir être heureuse. C'était un vampire, le plus vieux que l'on connaissait à l'époque. On disait de lui qu'il avait été pharaon, roi d’Espagne, bouddha, empereur... Si on écoutait les rumeurs, il aurait gouverné le monde entier, morceau par morceau, les uns après les autres.

Mais Aurore n'écoutait pas les rumeurs, elle l'avait simplement trouvé beau, gentil et tendre. Ils avaient passé de merveilleux moments ensemble, loin des Hommes la plupart du temps. Ils voyageaient hors de l'espace et du temps grâce à leurs pouvoirs respectifs, et cela dura presque un millénaire. Puis, un jour, le Chasseur du vampire qu'elle aimait retrouva leur trace.

Il avait vécu tellement de poursuites avec l'aimé d'Aurore, mené tant de combats et accumulé tant d'expériences qu'il parvint à eux sans qu'Aurore ne détecte sa présence, distraite d'amour comme elle l'était…

Et sous ses yeux, son vampire mourut, sans qu'elle ne puisse rien faire.

Il était inutile de penser à une quelconque vengeance. Cela aurait été idiot : aussitôt l'amant décédé, le Chasseur le suivit dans la mort. Il avait accompli ce pourquoi il avait été créé, il n'avait plus rien à faire sur Terre, encore moins d'attendre qu'une ensorceleuse malade d'amour ne répande sur lui sa colère...

Aurore avait par la suite découvert que le vampire qu'elle aimait n'était resté avec elle que pour la puissance de son sang, qu'il ne l'avait jamais aimée sincèrement, qu'il ne vivait que pour la violence et les meurtres. Qu'il n'était à ses côté dans l'unique but d'accumuler assez de puissance pour soumettre le monde, en entier cette fois, grâce à l’influence de sa magie.

Mais cela n'avait déjà plus d'importance. Tout comme le Chasseur, le vampire n'était plus de ce monde pour qu'elle déverse sa rancœur sur lui. Et même si elle avait le pouvoir de les ramener à la vie, n'importe quand, cela ne serait qu'une vaine illusion. Et Aurore n'avait pas besoin de ces choses-là.

Elle ne voulait plus ressentir de sentiments, plus connaître l'amour, plus voir de vampire ou rencontrer de Chasseur...

Depuis la mort de son aimé, elle vivait seule parmi les humains, allant de village en village, confectionnant des bonnets, des robes ou des paniers, souriant aux voisins et faisant le marché comme tout le monde. Elle avait dissimulé sa véritable apparence sous un costume de vieille dame, elle parlait d'une voix lente et faisait semblant d'être fatiguée.

Aurore l'ensorceleuse avait quitté tout ce avec quoi elle vivait autrefois, tout ce dans quoi elle s'épanouissait. Elle n'était plus qu'une vieille femme qui se moquait des sorcières venant la voir les nuits d'équinoxe...

Elle n'était plus rien pour l'Enfer.

Et pourtant parfois, quand la lune est pleine et que le vent ne souffle pas, le Chaperon Rouge vient encore lui rendre visite.

Le Chaperon arrive toujours dans sa petite robe vermeille, avec sa capuche relevée et un loup en laisse. Elle traîne derrière elle l'animal, qui est en réalité un humain transformé, et rejoint Aurore, quel que soit le village où elle séjourne.

Le Chaperon rentre alors dans sa maison, comme elle était en train de le faire à ce moment précis, et déchausse ses bottes fourrées dans l'entrée.

Ce jour-là, l'humain qu'elle avait transformé avait l'apparence d'un chien-loup. Probablement car elle savait que la discrétion serait appréciée, autrement elle serait venu avec un véritable loup sans se soucier du regard de quiconque.

Malgré l'illusion, Aurore pouvait voir qui il était véritablement. C'était un jeune homme, blessé à un nombre incalculable d'endroits, le regard vide. Aurore connaissait bien ce regard, celui du désespoir, de la lassitude, de l’envie de mourir. Pourtant, elle ne dit rien et ne fit pas le moindre geste vers lui.

— Et bien, Chaperon, que viens-tu faire chez moi à une heure si avancée de la nuit ?

Politesse d'usage, pirouettes de circonstance et sourires factices. Il arrivait à Aurore de se demander pourquoi les ensorceleuses devaient en arriver là alors qu’elles se connaissaient depuis si longtemps et qu’aucune n’avait le moindre doute sur les intention des autres… Mais au fond, elle connaissait la réponse. Sans ces efforts de politesse et de respect plus ou moins forcé, elles s'affronteraient avec violence, et la plus forte de toutes détruirait et soumettrait les autres sans concession.

Aurore avait beau être la plus forte, elle aimerait éviter ce scénario autant que possible.

— Je viens conclure une affaire, Belle au Bois Dormant, lui répondit la plus jeune. Puis-je m'asseoir ?

— Fait.

L'ensorceleuse à l'apparence de fillette s’installa dans un fauteuil et fit coucher le chien à ses pieds.

— Alors, pour quelle affaire viens-tu à la surface ? Demanda Aurore sans regarder l'animal.

— J'ai besoin de toi pour aider un vieil ami. Il y a longtemps, j'ai protégé sa famille en leur offrant les ''Yeux du Diable''... Je suppose que je n'ai pas besoin de t'expliquer ce que c'est.

— En effet.

— Et bien, son Chasseur a trouvé le moyen de briser le sort et s'est attaqué au dernier membre de la famille. J'ai fourni un loup comme défense à cet humain, mais il a eu la mauvaise idée de se reproduire. Avec une sirène qui plus est.

Elle soupira d'un air exagéré.

— Aucun loup-garou ne peut protéger efficacement un changelin, c'est légèrement au-delà de leurs compétences. C'est pourquoi je me suis dit que tu pourrais peut-être être plus à même que moi de résoudre ce problème.

Aurore lui accorda un doux sourire avant de répondre :

— bien sûr, j'ai les moyens de le faire. Mais ne serait-ce pas préférable qu'il meurt ?

Le Chaperon eut l'air surprise d'une telle remarque. Pourtant, elle ne devrait pas, c'était une pratique dont elle bénéficiait après tout, dont la plupart des puissants profitaient.

— Enfin, regarde-toi, Chaperon, insista Aurore. Ta force ne te vient-elle pas du fait que tu n'aies plus de famille ? N'es-tu pas plus résistante depuis que tu es orpheline ?

Elle détourna le regard, gênée. Aurore savait qu'elle s'était elle-même arrangée pour l'être, orpheline.

— Ce n'est pas comparable, Aurore. Mon ami n'est pas à la recherche de puissance.

— Nous le sommes tous.

Chaperon secoua la tête, alors Aurore rendit les armes :

— C'est bon, dit-elle. Que veux-tu que je fasse ?

— Un gardien. Un golem pour être plus précis. Peux-tu me le fournir ?

— Qu'as-tu à m'offrir en échange ?

— Qui veux-tu ?

En fronçant les sourcils, Aurore rectifia :

— Qu'est-ce que je veux, plutôt. Les vies humaines ne m'intéressent plus depuis longtemps. Ce que je désire, c'est un objet très rare, que je ne peux récupérer moi-même…

— Lequel ?

— Tu le connais bien, Chaperon... Tu l'as eu entre tes mains il y a bien longtemps, mais un démon te l'a dérobé...

Le Chaperon Rouge se pencha légèrement en avant, l'air inspiré, sa main allant se perdre dans la fourrure du loup. Elle avait saisi. D'une voix éteinte, elle murmura :

— Le collier de Shiva…

Aurore hocha la tête, satisfaite de voir le visage d'enfant se contracter par la colère. Ce vol n'avait jamais été pardonné, malgré les siècles qui s'étaient écoulés depuis.

— Même si je voulais bien te le donner, finit-elle par dire, je ne sais pas où il est…

— Et si je te disais que je l'ai retrouvé, Chaperon ?

Elle déglutit, attentive à Aurore. Sûrement bien plus qu'elle ne l'avait jamais été.

La Belle au Bois Dormant devinait que le Chaperon était désireuse de vengeance. Non pas pour l'objet perdu en lui même, mais pour le geste. Elle n'était pas encore ensorceleuse à l'époque, et trop faible pour protéger efficacement un artefact aussi dangereux. Il était probable qu'elle ne s'était jamais pardonné cette faiblesse.

— Ce sont des morgans qui l'ont. Ils l'ont récupéré d'un nycticorax mort près de chez l'un d'entre eux, il y a quelques mois.

— C'est pourquoi tu fais appel à moi…

Aurore ne pouvait le nier, aussi difficile fusse-t-il. Les morgans faisaient partie de ces êtres qu'elle ne pouvait approcher.

Cela remontait à une époque tumultueuse de sa vie, où elle interagissait encore avec le monde. Confiante en sa puissance, elle avait négligé la sournoiserie des autres et tenté de punir une femme sans préparation, alors qu'elle en aurait eu besoin. Ainsi, en plus d'avoir laissé Blanche Neige en vie par son échec, cette dernière avait maudis Aurore et lui avait interdit de s'approcher du petit peuple, dont elle avait la protection.

Pour une femme qui devait en partie son immortalité à des fées, c’était plutôt ironique, d'ailleurs.

Aurore brisa le silence qui s'était installé :

— Une fois auprès d'eux, tu pourras retrouver à qui appartenait le nycticorax, si tu désires encore te venger après tout ce temps.

— Je te le ramènerai, Belle au Bois Dormant. Pour une fois que je peux lier l'utile et l'agréable…

— Alors bon voyage. Je te donnerai le golem une fois que j'aurai l'objet chez moi.

— Très bien.

Le Chaperon se leva et se dirigea vers la porte, enfilant ses bottes fourrées. Elle sortit sans même jeter le moindre coup d’œil en arrière, mais Aurore ne s'en offusqua pas. Les politesses n'ont jamais été le fort de cette ensorceleuse, malgré ses efforts, Aurore y était habituée.

Un gémissement attira soudain son attention, et Aurore vit que sa semblable avait oublié son loup.

Elle se leva alors doucement, s'accroupissant auprès de la créature pour poser une main douce sur sa tête. Le loup gémit un peu plus fort, et elle lui fit doucement reprendre apparence humaine.

— Repose toi, mortel. Tu es sauf à présent...

L'homme la regarda un moment, les yeux troubles, avant que l'épuisement ne le submerge, lui faisant fermer les paupières. Aurore l'allongea doucement sur le tapis du salon et le regarda dormir un moment avant d'utiliser sa magie pour soigner ses plaies une à une.

Même si elle ne vivait plus dans la Grotte, prendre soin d’autrui restait une tendance profondément inscrite dans son être. Elle ne pourrait probablement jamais s’en défaire. Demain, elle chercherait un endroit où il pourrait trouver refuge.

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Marchant à travers une forêt obscure, la couleur sanglante des vêtements de Chaperon ressortait fortement dans la nuit. Elle était suivie de nombreuses silhouettes sombres, mais cela ne l’inquiétait pas : c’était elle qui les avait demandées. C'étaient parfois de vrais loups, d'autres fois des loups-garous, ces hommes-bêtes qui ne pouvaient les désobéir. Il y avait également des ombres intangibles, du moins jusqu'à ce qu'elles plantent leurs crocs dans la chair, dévoilant leur tranchant.

Chaperon partait au combat avec sa propre armée.

Elle ignorait pourquoi Aurore désirait le collier de Shiva. C'était un artefact extrêmement dangereux, utile uniquement pour la destruction… Ce n'était pas vraiment le genre de loisir qu'affectionnait cette pacifiste de Belle au Bois Dormant.

Selon la légende, le pendentif du collier contiendrait un poison capable d’anéantir tout un royaume, voir le monde. Le Chaperon l'avait acquis un jour de grande colère, mais ne l'avait finalement pas utilisé : le monde détruit, elle se serait sentie bien seule après tout. Malgré ce renoncement, le collier lui appartenait et elle n'avait pas apprécié qu'on le lui vole.

Le nycticorax, créature sale et puante au service des mages les plus puissants, faisait partie de ce que le Chaperon détestait. Tout comme leurs homonymes échassiers, les nycticorax savaient voler et possédaient un bec tout à fait semblable à ceux des oiseaux. Par contre, ils avaient tendance à préférer attaquer les habitants de la Grotte plus que les poissons, que ce soit leurs corps ou leurs possessions, et de se mettre au service des démons les moins respectables.

Celui-là avait de la chance d'être mort avant qu'elle ne mette la main sur lui, sans quoi elle se serait beaucoup amusée de le voir se faire dévorer vivant par ses loups. Au lieu de cela, elle allait devoir se contenter de quelques morgans qui n'avaient fait que dépouiller un cadavre.

Enfin, cela ne l'empêcherait pas de jouer avec le propriétaire actuel. D'autant plus s'il était sous les ordres de cette épine dans le pied qu'était Blanche Neige.

Au bout des sept énigmes gardant le territoire secret, Chaperon arriva là où elle le désirait. La frontière était invisible à l’œil nu, mais l’ensorceleuse n'eut aucun mal à sentir le moment exact où son pied la franchi.

— Préparez-vous, ordonna-t-elle à son armée.

Et moins d'une minute plus tard, les sept armées de Blanche Neige fondaient sur eux.

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Blanche Neige serra ses poings délicats quand une fée vint s'échouer à ses pieds, mais ne se leva pas de son fauteuil. La petite créature était sérieusement blessée mais Blanche ne pouvait rien pour elle. Ce qu'elle pouvait, par contre, c'était faire face à l'intrus qui venait de pénétrer sur son territoire pour attaquer les siens.

Comme elle l'avait deviné, ce fut une puissante sorcière qui pénétra dans la salle. Elle n'aurait pourtant jamais imaginé que ce serait le Chaperon Rouge. Cela faisait bien trois siècles qu'elles s'évitaient l'une l'autre dans un statut quo qui, bien qu'instable, n'avait encore jamais été brisé jusqu'à ce jour.

— Bonjour, la salua l'ensorceleuse.

Sa politesse était assez étonnante, dans la mesure où elle traînait derrière elle un morgan éventré dont les organes tâchaient les tapis sur leur passage. Arrivé à quelques mètres de Blanche Neige, le Chaperon Rouge fit un ample mouvement de bras afin de lancer le morgan vers elle. Son serviteur butta contre ses pieds sans que Blanche ne fasse le moindre mouvement ni n'exprime la moindre émotion.

C'est d'une voix totalement neutre qu'elle demanda :

— Puis-je savoir pourquoi tu as décidé de rompre la paix relative qui régnait entre nous ?

— Ne prends pas tes grands airs, mercenaire, rétorqua froidement Chaperon en continuant de s'avancer vers elle. Le fait de t'avoir mise de côté ne veut pas dire que les ensorceleuses te laissent tous les droits, tu ferais bien de t'en rappeler avant de laisser tes larbins mettre leur pattes là où il ne faut pas.

Elle avait fini son discours en posant son pied sur le cadavre, son corps penché en avant jusqu'à ce que son visage frôle celui de Blanche Neige.

— Ai-je quelque chose à leur reprocher ? Répondit calmement Blanche. Je pensais pourtant être restée loin de tes affaires, ces derniers temps.

— Pas assez loin, de toute évidence.

Chaperon se releva, une expression furieuse déformant son visage d'enfant. Jamais Blanche n'avait compris comment une personne aussi âgée et puissante pouvait avoir aussi peu de contrôle sur ses émotions.

— J'ai entendu dire qu'un morgan avait en sa possession un artefact qui m'appartient, et je veux le récupérer.

— N'aurait-il pas été plus sage de simplement le demander ?

— Disons que je préférais savoir ton armée incapable de te soutenir, au cas où tu décides de le garder pour toi, répondit-elle d'une voix narquoise. Qui sait ce que tu pourrais en faire, après tout…

Relevant son pied du cadavre dans un bruit répugnant, l'ensorceleuse s'éloigna, d'un pas à peine, avant de reprendre :

— Je t'ai laissé quelques morgans en vie, rassure-toi. Appelle-les. Je veux le collier qu'ils ont pris sur le corps d'un nycticorax, quelques mois plus tôt.

Blanche Neige tiqua. Elle ignorait tout de cette histoire mais ne voulant pas attirer le courroux d'une femme capable de détruire son armée et elle avec sans même s’essouffler. Elle savait être une sorcière plus puissante que la moyenne, mais elle était loin, terriblement loin d'égaler les ensorceleuses.

Craignant plus pour sa vie que s'intéressant à cet artefact inconnu, elle décida d'obéir.

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C'est en faisant négligemment tourner le collier de Shiva à bout de bras que le Chaperon Rouge entra chez Aurore. Cette dernière, qui venait de coucher l'homme torturé dans sa chambre d'ami, accueillit sa collègue d'un air surpris.

— Je ne pensais pas que ce serait fait si rapidement. Le soleil n'est pas encore levé…

— Disons que j'avais une très bonne motivation, répondit le Chaperon avant de lancer le bijou vers Aurore.

Elle l'attrapa d'un geste trop souple pour son apparence de vieille femme, et Chaperon reprit :

— Je peux te poser une question ?

— Bien entendu, répondit-elle en appréhendant tout de même celle-ci.

— Pourquoi vouloir ce collier ? Toi, la dernière parmi toutes les ensorceleuses à souhaiter faire du mal à autrui.

— Ne me voit pas plus bonne que je ne suis, répondit Aurore en passant la chaîne autour de son cou.

Il était pourtant vrai qu'elle n'avait pas l'intention de s'en servir pour détruire le monde, comme le pensait effectivement le Chaperon Rouge… Néanmoins, elle ne comptait pas en dire plus à sa compagne.

À la place, elle dégagea le sol du salon, repoussant chaises et table basse contre les murs. Elle se plaça ensuite au milieu du salon et s'adressa au Chaperon Rouge pour confirmer :

— Donc, un golem pour protéger un changelin, c'est bien cela que tu désires ?

Aurore n'attendit pas confirmation. Elle savait ce qu'elle avait à faire.

Pliant les jambes, elle se mit à genoux puis plaça délicatement ses mains sur le carrelage. Elle ferma les yeux, appelant à elle la magie soumise à sa volonté. Presque immédiatement, elle sentit les carreaux se désolidariser dans des bruits de claquement alors que la terre, sous les fondations, s'agitait.

Quand elle rouvrit les yeux, elle vit que les ronces avaient déjà commencé à pousser, se rassemblant et s'entremêlant peu à peu pour former une créature humanoïde d'environ un mètre cinquante de haut, courbée en avant et dépourvue de visage.

Elle redressa son dos, posant les mains sur ses cuisses, et s'adressa au Chaperon Rouge pour lui demander :

— Tu ne vois pas inconvénients à amener toi-même le golem jusqu'au changelin ?

— Pas de problème. Je comprends que tu n'aies plus l'âge d'aller crapahuter dans les grottes.

La touche d'humour ne fit pas rire Aurore, mais Chaperon ne sembla pas s'en vexée. Elle prit la main du golem et ouvrit les portes de la Grotte où elle s'engouffra sans un mot d'au revoir.

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Lorsqu'elle dormait profondément,

Dans la plus haute chambre de la plus haute tour

Elle ne voyait pas passer le temps

Et les ronces poussaient le long des murs

Ensorcelées par la magie des marraines.

Elles enroulaient le corps de la Belle

En dévorant la vie du Royaume.

Chante, Aurore, toi la plus douce et la plus tendre

Tes sujets nourriront ton corps et ta magie

Jusqu'à la nuit des temps...

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