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Au Diable la Foi

Chapitre 6 : le Changelin

Il fallut un certain temps à Vivence pour accepter sa grossesse. Pour être tout à fait honnête, il avait dû attendre de voir son ventre gonfler pour cesser de croire que les deux autres lui faisaient une blague de mauvais goût.

Pourtant, Klaus n'était vraiment pas du genre à faire des blagues, il avait pu s'en assurer avec le temps passé à ses côtés. En effet, le loup-garou avait reçu l'ordre de le protéger, il s'engageait donc à être en permanence avec lui. Même si maintenant qu'il était enceint, Vivence ne pouvait plus retourner dans le monde normal (ce pourquoi on lui avait attribué un loup, à la base), Klaus prenait sa mission très à cœur. S'il avait pu, il l'aurait probablement même accompagné aux toilettes ou à la douche pour ne pas le laisser seul un instant.

Outre cela, la cohabitation était loin d'être plaisante au quotidien. Si effectivement Klaus n'avait rien contre le fait qu'Antenore soit un vampire, il acceptait bien moins son caractère frivole et ''puéril''. Personnellement, Vivence trouvait vraiment étrange de considérer comme puéril une personne ayant plusieurs siècles, mais il s'était jusqu'à présent retenu de commenter, de peur d'énerver le loup-garou, qui l'était déjà suffisamment sans cela : il semblait avoir un caractère propice aux coups de sang…

Bref, pas un jour ne se passait sans que Klaus ne reproche au vampire de ne pas être assez sérieux, de mettre la sécurité de Vivence en danger ou de ne pas être assez protecteur avec lui. Heureusement, Antenore le supportait plutôt bien dans l'ensemble et ne s'énervait jamais en retour, même si Vivence aurait compris qu'il le fasse, tant les critiques ressemblaient parfois à du harcèlement.

— Ce n'est qu'un jeune loup, avait expliqué Antenore quand Vivence lui avait fait part de son étonnement. Il ne peut pas comprendre les raisons de mes réactions, tout comme il m'est difficile de comprendre les siennes.

— Parce que vous êtes d'espèces différentes ?

— Non, répondit Antenore en secouant la tête.

Il avait réfléchi quelques secondes puis avait tenté de lui expliquer :

— Le raisonnement ne différencie pas tant d'une espèce à l'autre. La réalité, c'est que ce sont les espérances de vie qui sont différentes. Un éphémère ne pourra jamais envisager l'avenir comme une tortue, c'est impossible. Si tu pouvais vivre trois cents ans de plus, toi aussi tu ne partagerais plus les raisonnements des autres humains.

Vivence avait compris et n'avait plus relancé cette conversation.

Et puis rapidement, il eut autre chose à penser. En effet, trois semaines seulement après le baiser non-consenti de la sirène, il dut affronter les premières difficultés de la grossesse masculine.

— Tu devrais manger.

— Non, je vais encore vomir…

— Il vaut mieux vomir de la bouffe que de la bile. Mange.

— Laisse-moi tranquille…

— Mange.

Vivence grogna et l'ignora. À la place, il se leva avec difficulté et commença à marcher vers la sortie pour partir des appartements du vampire. Klaus le rattrapa avant même qu'il n'atteigne la porte.

— Il faut que tu restes en sécurité à l'intérieur.

— Mais j'étouffe ici ! Ça fait des jours que je ne suis pas sorti de ces quatre murs !

— Il y a plusieurs pièces, le contredit Klaus en fronçant les sourcils.

Vivence en était presque à s'étouffer de colère et de frustration quand trois coups retentirent contre la porte, avant que celle-ci ne s'ouvre sans attendre de réponse.

Klaus agit trop rapidement pour que les yeux de Vivence ne suivent le mouvement. Il ne put que voir Arnaud être violemment plaqué contre le mur, hoquetant de surprise, ou peut-être était-ce de douleur, alors que le loup-garou lui demandait :

— Qui es-tu et que veux-tu ?

La réaction de l'incube le prit par-contre complètement par surprise. Au lieu de tenter de se dégager, comme n'importe qui l'aurait fait à sa place, il saisit brusquement la nuque de son agresseur et appliqua ses lèvres contre les siennes. Il échangea avec lui un baiser qui fut vite rompu quand Klaus se jeta en arrière, le libérant, avant de tomber maladroitement au sol en se recroquevillant.

— Moi, répondit Arnaud en le regardant froidement, je suis un incube. Et toi, tu ferais mieux d'aller dans la salle de bains te soulager.

.

Quand Antenore revint de sa sortie chez les ensorceleuses, Klaus boudait, en ayant exceptionnellement placé Vivence entre lui et l'intrus, Arnaud sirotait tranquillement un verre de vin et Vivence avait accepté de manger un peu. Ils étaient tous trois plongés dans un silence morose, installés dans le canapé que le vampire rompit en enlevant sa cape, commentant :

— Et bien, quelle ambiance. Qu'est-ce que j'ai raté ?

— Outre ma découverte de l'état de Vivence suite à sa rencontre avec une sirène, j'ai également permis à ton louveteau de soulager sa frustration sexuelle.

— Tu… Je n'avais aucune frustration !

— Oh vraiment ? S'amusa l'incube. Pourtant tu n'es pas resté très longtemps aux toilettes, ça devait être impatient de sortir après tant de temps de négligence…

— Vivence devait être surveillé ! Répondit le loup-garou furieusement. Comme si je pouvais le laisser seul, surtout avec un démon qui pourrait lui faire je ne sais quoi…

— C'est raciste ça, les incubes et les démons sont différents ! Fit mine de s'offusquer Arnaud.

Les laissant se disputer, Antenore reporta son attention sur le descendant de son frère. Il avait l'air malade, mais c'était son air habituel depuis que les symptômes de la grossesse étaient apparus.

Loin d'être semblable à celle des femmes humaines, la grossesse masculine due à une sirène était très dangereuse pour la santé. L'enfant qui naîtrait de Vivence ne serait pas humain, mais à l'heure qu'il était, Antenore serait bien en peine de prévoir laquelle des deux progénitures possibles allait sortir de son petit-neveu. Ni laquelle serait la plus difficile à accoucher.

— Comment te sens-tu aujourd'hui ?

— J'ai encore envie de vomir quand je mange et je m'ennuie terriblement, répondit l'humain dans un soupir. Tu crois que je pourrais aller faire un tour dehors ?

— Je ne crois pas que ton chien de garde soit d'accord avec ça, répondit Antenore en souriant.

— Ne m'appelle pas chien de garde !

Antenore haussa négligemment les épaules, l'ignorant, et continua auprès de Vivence :

— Par contre, tu peux toujours te balader dans la Grotte.

— C'est dangereux, répliqua Klaus en venant s'interposer entre eux.

— Mais je ne vais pas rester éternellement enfermé ici ! Argumenta Vivence.

— Et pourquoi pas ? Répondit le loup-garou qui ne semblait pas ravi d'entendre cela. De toute façon, le vampire ne mourra pas avant toi, il peut te loger aussi longtemps que tu veux.

— Aussi longtemps que je veux, plutôt.

La voix d'Antenore était froide, soudain, et son regard posé sur le loup-garou était à glacer le sang.

— N'oublie pas que tu es là à ma demande, et qu'ici vous êtes chez moi. Je garde cet enfant parce que je le veux, je n'ai pas la moindre obligation à le faire. De nous deux, ce sont mes décisions qui compte, non les tiennes. Tu comprends cela ?

Klaus se redressa pour le défier du regard. Ils se dévisagèrent avec colère, déployant des ondes d'animosité. L'humain et l'incube présents dans la pièce auraient peiné à dire lequel des deux était le plus intimidant à ce moment précis.

— Et toi, n'oublie pas que si tu t'octroies le droit de diriger ces deux-là, moi je ne réponds qu'aux ordres de ma meute et du Chaperon Rouge. Et tu n'es ni l'un ni l'autre, alors range tes petits crocs déplaisants, avant que je ne sorte les miens.

Malgré les dires du gardien de Vivence quand il était venu le chercher, le garçon était persuadé que la mésentente entre vampire et loup-garou existait bel et bien entre eux. Que ce soit à cause d'une question d'espèce ou d'espérance de vie, cela importait peu : les faits étaient là. Ils étaient toujours en train de se disputer, et Vivence ne savait jamais quoi dire pour apaiser les conflits.

Heureusement, ils finirent par se calmer d'eux-mêmes et se détournèrent l'un de l'autre.

— Bref, déclara Antenore en s'installant sur le lit à son tour. J'ai besoin de la chambre avec Arnaud pendant une heure, et comme mon petit-neveu n'a pas envie d'assister à ce qui va suivre, allez dehors tous les deux.

Le loup-garou s'apprêtait à protester quand le vampire reprit :

— J'ai besoin de me nourrir, tout comme Arnaud, et je n'ai pas envie de spectateurs…

— Pour une fois, marmonna Arnaud en se dirigeant déjà vers le lit, mais tous firent semblant de ne pas l'avoir entendu.

— … et j'ai cru comprendre que Vivence n'était pas très à l'aise avec ce genre de relation.

Voyant une occasion en or de pousser Klaus à accepter de le laisser faire une balade, Vivence répondit aussitôt :

— Je ne le suis pas. Ça me met très mal à l'aise !

Le regard du loup-garou montrait qu'il n'était pas convaincu par la réplique, mais quand le Charme de l'incube commença à déverser sa puissance dans la pièce, il lâcha un grognement mécontent puis attrapa le bras de Vivence pour l'accompagner jusqu'à la porte qu'il ouvrit sans la moindre douceur.

Juste avant qu'elle ne se referme, Vivence eut le temps de faire un sourire reconnaissant au frère de son ancêtre.

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Après cet épisode, Klaus avait dû admettre que Vivence n'était pas si en danger que cela en dehors des appartements du vampire. L'humain avait alors eu droit à une sortie presque tous les jours, sous surveillance de son gardien bien sûr.

Durant les semaines qui suivirent, la relation entre ce dernier et Antenore s'était… Et bien, améliorée serait un grand mot. Mais au moins leur animosité ouverte avait fini par muer en une tolérance réciproque. Une certaine tension régnait donc encore à chaque fois qu'ils se retrouvaient tous trois dans l'appartement, mais cela restait gérable. Probablement parce qu'Antenore passait énormément de temps dehors à faire ils ne savaient quoi, cela diminuait le nombre de leurs rencontres.

Le temps passait, et bientôt Vivence commença à avoir des problèmes à digérer et à respirer, sans parler des douleurs internes.

Arnaud, venu leur rendre visite, comme il le faisait environs une fois toutes les deux semaines, commenta :

— À mon humble avis, cela signifie que ton œuf est prêt à être pondu.

Il avait constaté la situation depuis la porte de la salle de bain où Vivence vomissait son repas, faute d'avoir pu lui faire passer la barrière de l'intestin.

— Dans ce cas ne reste pas là comme une plante verte, répliqua sèchement Klaus. Va plutôt chercher la sorcière dont a parlé l'autre !

— Pour qui tu me prends ? Répondit froidement Arnaud en plissant son joli nez. Tu as cru que les incubes pouvaient aller se balader à l'étage des sorcières comme ils le veulent ? On voit que tu n'as pas beaucoup vécu dans la Grotte, toi !

— Alors va chercher quelqu'un qui le peut !

Ils se dévisagèrent encore, puis Vivence vomit à nouveau, les poussant à se lâcher du regard. Arnaud sortit de la pièce et Klaus caressa le dos de Vivence tout en posant une main sur son front.

Depuis qu'il était chargé de protéger le petit-neveu du vampire, Klaus avait passé la quasi-totalité de son temps avec lui, ce qui leur avait permis de finalement se lier d'une certaine forme d'amitié. La prévenance du loup-garou s'était faite plus sincère que professionnelle, tandis que, de son côté, Vivence était à son écoute pour tout ce qui pouvait troubler le loup. Ils n'en étaient pas à plaisanter ensemble en parlant de tout et de rien, mais leur relation était agréable pour tous les deux, et ils s'en contentaient.

— J'en ai marre, marmonna Vivence qui se redressa.

— On va te faire sortir l'enfant, ne t'inquiète pas, tenta de le rassurer Klaus

— Et après, on fera quoi ?

Klaus fronça les sourcils.

— Comment ça ?

— Vous faites tous bien attention à ne pas en parler, répondit Vivence après s'être rincé la bouche avec le verre d'eau que son gardien lui avait offert. Mais l'histoire ne va pas s'arrêter quand l'œuf sera hors de moi. Qu'est-ce qu'on va faire après ?

— Et bien… Si c'est une femelle, il faudra la donner aux sirènes.

— Et si c'est un mâle ?

Klaus ouvrit la bouche mais hésita à répondre. Il finit par secouer la tête et hausser les épaules.

— Je n'en sais rien… Tu sais, on raconte beaucoup d'histoires sur les fils de sirène et… Honnêtement, je préférerais que ce soit une femelle. Vraiment.

— Quel genre d'histoire ?

Klaus soupira face à son insistance puis l'aida à se mettre debout, l'entraînant jusqu'à la pièce principale où il le fit s'installer confortablement sur le lit. Il s'assit alors à ses côtés et entrelaça ses doigts, les coudes posées sur ses cuisses.

— On dit qu'elles peuvent faire des Changelins.

Vivence fronça les sourcils. Ce mot lui disait vaguement quelque chose, mais sa mère lui avait raconté tant de légendes qu'il peinait à se rappeler quelle était celle de cette créature. Voyant son manque de réaction, Klaus se décida à lui en parler avec un peu plus de détails, bien que cela le mette visiblement mal à l'aise.

— Un Changelin, c'est… Une sorte de créature qui ne naît pas naturellement d'un père et d'une mère de la même espèce. On raconte que, quand elles volent des bébés humains, les fées les remplacent par des Changelins !

Il frissonna d'horreur et Vivence ne s'en moqua pas. Parce que les fées, il s'en rappelait très bien. Contrairement aux petites filles de son voisinage quand il était enfant, il avait toujours eu ces choses en horreur. Dévoreuses d'enfants, manipulatrices d'hommes, voleuses de vierges… Si les vampires effrayaient généralement le commun des mortels, Vivence, lui, trouvait les fées bien plus promptes à lui inspirer des cauchemars.

Klaus continua son exposé :

— Les Changelins seraient capables de prendre la force et les qualités de ceux qui l'entourent, sans récolter les faiblesses et les défauts qui les accompagnent normalement. Tu comprends ce que cela veut dire ? Ça en ferait le parfait combattant !

— Tu vois toujours tout par la violence, marmonna Vivence. Cela peut aussi en faire une personne avec toutes les qualités du monde, super gentil, prévenant, agréable, doué en cuisine, doué en…

— Doué en arme à feu et en combat à main nue.

Vivence lui jeta un regard blasé.

— Nous n'avons pas la même définition de ce que sont les qualités…

Sur ces mots, la porte des appartements du vampire s'ouvrit sur le propriétaire qu'ils n'avaient pas vu depuis deux jours. Antenore, attentif, vint poser une main sur le front moite de Vivence, comme pour lui prendre sa température.

— Arnaud dit qu'il est temps de le faire sortir. Comment tu te sens ?

— J'ai faim mais je ne peux rien garder plus de quelques minutes avant de devoir tout recracher…

— Une envie particulière d'aller te mettre les fesses dans l'eau ?

— Heu, non…

— Dans ce cas, je pense que ce sera un petit garçon.

Klaus grogna d'une manière légèrement désespérée en entendant ses craintes se réaliser. Vivence, quant à lui, se contenta de déglutir nerveusement, appréhendant la suite.

— Bien, fit Antenore en se redressant. Je vais aller demander à une sorcière si elle peut s'occuper de toi.

— Au Chaperon Rouge ? Interrogea Vivence.

Antenore, tout comme Klaus, le regarda d'un air dubitatif. Pour une fois, ils semblaient sur la même longueur d'onde.

— Pour qu'elle te déchiquette le ventre ? S'amusa Antenore. Certainement pas. Rassure-toi, elle n'est pas la seule ensorceleuse de mes contacts.

Il ébouriffa affectueusement les cheveux de Vivence avant de partir. Klaus, de son côté, se tourna vers l'humain pour désigner la porte du pouce. Il avait l'air à la fois stupéfait et effrayé quand il lui demanda :

— Mais sérieusement, c'est qui ce type ? Il connaît des ensorceleuses ? Plusieurs ?

— Ça a l'air de te troubler ?

— Cela ne me trouble pas, cela me choque ! Répondit Klaus sur un ton bouleversé. Tu n'as pas l'air de te rendre compte, mais les ensorceleuses sont des sorcières vieilles de plusieurs siècles ! Plusieurs millénaires, même, pour certaines ! C'est le sommet de la puissance de la Grotte, au-dessus d'elles, il n'y a… quasiment rien ! Elles sont en haut de la hiérarchie, tu vois. Et Antenore peut leur demander des services comme si de rien n'était ?

Vivence haussa les épaules. Il n'en savait pas plus, et honnêtement, il se fichait bien des relations incroyables que pouvait avoir le vampire, tant qu'il parvenait à le soulager.

Ils durent attendre presque une heure, durant laquelle Vivence retourna vomir, avant qu'Antenore ne revienne finalement.

Il tint la porte ouverte pour laisser passer une femme dont la magie envahit toute la pièce comme une forte odeur, qui prenait à la tête et manquait de les étouffer.

Son corps était recouvert d'une tunique beige très longue, cintrée aux hanches par un long tissu blanc plissé par une grossesse qui semblait aussi avancée que la sienne. Mais ce que l'on remarquait le plus, chez elle, était ses cheveux. De longues mèches châtains encadraient son visage, tombaient sur sa poitrine, recouvraient ses épaules et ses bras. Elles descendaient jusqu'au sol et traînaient derrière elle, malgré les nombreuses tresses enroulées autour de son crâne et de son cou comme autant de bijoux.

Ce n'est pourtant qu'en entendant le bruit métallique qu'elle faisant à chacun de ses pas, produit par les chaînes encerclant ses chevilles et disparaissant dans le couloir, que Vivence la reconnu.

Il se leva alors lentement, oubliant presque sa douleur, ses nausées et sa faim, et fit quelques pas en direction de la femme dont sa mère lui avait tant de fois raconté l'histoire sous sa demande, tant il l'aimait. Avec maladresse, il s'approcha et, comme dans l'histoire, il posa un genou à terre en levant les mains vers le ciel.

C'était la position que devaient prendre ceux qui venaient à la rencontre de Raiponce l'ensorceleuse pour lui demander des faveurs. C'était contre cela, et uniquement cela, qu'elle acceptait d'utiliser ses pouvoirs pour autrui.

— Relève-toi, jeune humain, Antenore m'a déjà fait sa demande.

Sa voix était magnifique, très faible mais très douce. Vivence en frissonna en l'entendant. Il eut besoin de Klaus pour réussir à se remettre debout, son ventre l'encombrait trop pour pouvoir le faire seul.

— Installe-toi sur le dos, dans le lit. Bien entendu, Antenore, un peu de sang sur tes draps ne te dérange pas ?

— Je les changerai, assure-t-il en réponse. Fais ce que tu dois faire. Klaus, tu l'aides ?

Il n'avait pas besoin de le demander, le loup-garou était déjà en train de maintenir le bas du dos et les épaules de Vivence pour l'aider à s'allonger confortablement, l'oreiller maintenant sa tête un peu surélevée.

L'ensorceleuse s'avança, les chaînes griffant le sol de pierre, pour s'asseoir sur le matelas à côté de lui. Klaus recula prudemment vers le fond de la pièce, un air impressionné sur le visage.

— Antenore, viens me défaire une tresse je te prie.

Il se rapprocha d'elle et souleva les cheveux au niveau de son oreille gauche. Là, il ôta la prince qui retenait une tresse venant de la droite, tombant sur sa poitrine comme un collier. Elle prit alors le bout de la tresse qui semblait dégager de la magie au même titre que le reste de son corps.

— Ne te mords pas la langue, lui dit-elle de sa voix toujours aussi douce. Tu risquerais de te la couper.

— Ça va faire mal ? Demanda nerveusement Vivence.

— C'est possible. Mais je peux t'endormir, si tu préfères, tu ne te rendras compte de rien.

— Je préfère autant, oui, avoua Vivence qui avait peur de la douleur.

Elle hocha la tête, un sourire presque tendre aux lèvres, puis demanda à Antenore d'ouvrir la chemise de son petit-neveu pour découvrir la peau de son ventre. Elle déposa ensuite le bout de sa tresse sur le nombril de Vivence, qui eut juste le temps de voir la peau s'ouvrir avant de sombrer dans un profond sommeil.

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Ce furent les cris d'un bébé qui le sortirent de son inconscience, et il dut s'y prendre à plusieurs reprises avant de réussir à garder les yeux ouverts.

Il vit tout d'abord Klaus qui s'appliquait à passer un gant de toilette humide sur son front, puis Raiponce qui rattachait sa tresse derrière son oreille. Il eut besoin de quelques secondes de plus avant de trouver Antenore, qui tenait l'enfant dans ses bras. Son ventre était douloureux mais aucune trace de coupure n'était visible, il semblait juste flasque avec une rapide perte de poids. Par contre, une sorte de coquille d'œuf un peu molle gisait sur les draps à côté de lui.

— Ça a marché ?

Il se rendit compte que sa bouche était très pâteuse et qu'il peinait à articuler. Néanmoins, les autres comprirent car Klaus hocha la tête et Raiponce répondit :

— Il n'y avait aucune raison d'en douter. Je suis douée dans ce domaine.

— D'ailleurs, osa intervenir Klaus qui préférait visiblement s'intéresser à eux qu'à Antenore et le Changelin, vous êtes enceinte vous aussi ? De combien ?

Le sourire de l'ensorceleuse fut étrangement embarrassé quand elle caressa son ventre proéminent et qu'elle répondit :

— De quatre-cent soixante ans, bientôt.

Klaus ouvrit stupidement la bouche et ne sut quoi répondre. Vivence se promit de lui raconter cette histoire, quand ils seront plus tranquilles et uniquement tous les deux.

Puis Antenore s'approcha et Klaus lui laissa la place, permettant au vampire de déposer le bébé sur le torse de Vivence. Au bout de quelques secondes à peine, et après quelques hoquets, l'enfant cessa de pleurer.

Il n'était pas humain, cela ne faisait pas le moindre doute. La forme des oreilles le prouvait, si la couleur anormalement pâle du corps ne suffisait pas, d'un blanc presque bleuté. Bien qu'elles soient placées au même endroit que les oreilles normales, elles étaient en forme de tubes horizontaux, de la grosseur d'un doigt et se terminaient en s'élargissant légèrement au bout de quelques centimètres. Quand le visage de l'enfant se crispa, un peu comme s'il se retenait de bailler, les bouts des oreilles s'agitèrent un peu de haut en bas.

— Il n'a pas l'air si dangereux que ça, Klaus…

— Ne t'y fie pas ! Peut-être qu'il cherche à te manipuler, à te faire baisser la garde !

Vivence ne répondit rien, pour ne pas mettre d'avantage sur les nerfs le loup-garou débordant de méfiance et de défiance. À la place, il berça doucement le nouveau-né contre lui.

— Il ne faut pas lui donner à manger ? Que mangent les Changelins ? Il ne faut pas que je l'allaite quand même ?

— Et avec quoi tu l'allaiterais ? Répondit Antenore d'une voix amusée. Il ne me semble pas que tes seins aient particulièrement grossi ces derniers temps.

— Ne dis pas ça comme si c'était évident, répliqua Vivence en fronçant les sourcils face à la moquerie. Une grossesse n'était pas quelque chose d'évident pour moi, cela n'aurait pas dû arriver !

— Cela ne serait pas arrivé si tu étais resté loin des sirènes, commenta Klaus qui restait toujours à une distance raisonnable du Changelin.

— Ni si ton protecteur avait correctement fait son travail, répliqua Antenore sans se départir de son sourire. Mais peu importe le passé, l'important, c'est l'avenir ! Alors, comment veux-tu appeler ce bonhomme ?

Klaus grogna.

— Est-ce que c'est vraiment la priorité ?

— L'appellation est la première étape de toute relation, répondit Antenore. Avant de décider de ce que l'on va faire de lui, il faut lui donner un prénom. Alors, Vivence ?

Le seul humain présent prit le temps de réfléchir avant de se tourner vers Klaus pour lui sourire. Soupçonneux face à ce regard, le loup-garou fronça les sourcils mais Vivence ne se démonta pas, déclarant :

— Je voudrais que ce soit toi qui choisisses son nom. Après tout, c'est grâce à toi qu'il est né.

Cette déclaration ne sembla pas lui faire particulièrement plaisir, mais Vivence savait que, au fond, il était honoré de pouvoir donner un nom à un enfant, sous la demande du père qui plus est. Au bout de ce qui lui sembla durer de longues minutes d'hésitation, Klaus finit par se rapprocher pour jeter un coup d'œil au bébé s'agitant à peine.

— Tu n'as qu'à l'appeler Lanzo… C'est le nom de mon petit-frère, il avait le même nez à la naissance.

Vivence sourit.

L'enfant avait désormais un nom, Vivence était donc sûr de pouvoir désormais convaincre Klaus de le garder.

.

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Ni fée ni lutin

Ni homme ni sirène,

C'est ce qu'est le Changelin.

Dépourvu de forme il avance

Sur un chemin inconnu

Sans crainte des remontrances

Car son cœur est résolu.

Le Changelin est là aujourd'hui,

On l'a fait venir

Dansez, chantez, dans la glorieuse nuit

Il vous fera découvrir

Le destin des crépusculaires.

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