Au Diable la Foi

Chapitre 8 : Blanche neige
Il était une fois, voilà comment les histoires commençaient.
Il était une fois une fillette plus belle que toutes les autres femmes de son Royaume, avec des cheveux aussi noirs que le charbon, la peau aussi blanche que la neige et les lèvres aussi rouges que le sang. Elle avait un père aimant et une mère pieuse, si pieuse qu'elle ne pouvait supporter ses erreurs passées.
Car à ses yeux, cette beauté était maudite, fruit de son honteuse adoration pour le Malin qui l'avait poussée à des actes de sorcellerie alors qu'elle était enceinte. Elle avait fait couler son sang dans la neige en souhaitant la beauté à sa fille. Et à la naissance de cette dernière, la femme n'avait pas supporté de voir le résultat. Chaque jour, à l’Église, elle priait pour le pardon de ce péché, pour la réparation de son crime. Elle craignait que cette enfant soit contre-nature et dotée d'une personnalité malveillante.
Ses prières avaient fini par être entendues et l’Église avait décidé de s'intéresser à son cas. Ils avaient d'abord envoyé un prêtre qui avait tenté de l'exorciser. La fillette n'avait eu aucune réaction ni à l'eau bénite, ni aux paroles saintes qu'il prononça. Au lieu d'abandonner à ce moment-là, ils en avaient conclu que sa puissance était telle qu'elle pouvait se protéger de leurs techniques.
À cette époque-là, l’Église était déjà en déclin en Europe et ses connaissances avaient commencé à sombrer dans l'oubli. Elle n'était alors plus en mesure de créer des Chasseurs pour chaque créature surnaturelle découverte. Le chasseur qu'on lui avait donc envoyé était un homme ordinaire, mais armé… Et ses armes étaient suffisantes pour la tuer.
Blanche n'avait pas le moindre pouvoir ni le moyen de s'en sortir face à un adulte déterminé à lui faire du mal, elle n'était qu'une fillette de sept ans, simplement trop belle aux yeux de sa mère pour n'être qu'une enfant ordinaire, et elle était terrorisée.
Alors elle avait fui dans la forêt, courant aussi vite qu'elle le pouvait à travers les bois pour tenter de s'échapper. Mais il était plus grand et plus rapide qu'elle, il avait fini par la rattraper.
Encore aujourd'hui, elle pouvait se souvenir de ses mains qui touchaient son corps, de son sourire sadique, de son couteau qui déchirait ses vêtements. Sa mère la voulait morte, disait-il, elle ne valait donc plus rien, et rien ne l'empêchait de s'amuser avec elle avant de la tuer. Il disait aussi que si elle était née si belle, c'était justement pour plaire aux hommes, et dans ce cas, elle n'avait aucun droit de lui résister.
Mais Blanche avait résisté, autant qu'elle avait pu malgré ses pauvres forces. Et en voyant que ni ses bras, ni ses jambes ne suffisaient, elle avait hurlé, aussi fort qu'elle le pouvait, de peur, de tristesse et de colère… Et soudain quelque chose s'était déclenché en elle.
La forêt s'était retournée contre son agresseur, et ce qu'elle prit d'abord pour des animaux se jetèrent sur lui pour le faire reculer.
Ainsi libérée, elle put voir le chasseur être repoussé sur le sol par des créatures plus petites, mais semblables aux humains. Le corps de son agresseur avait alors été promptement déchiqueté, tachant les herbes, la terre et les troncs d'arbres de sang et d'organes chauds.
Cette vision était restée en elle depuis, elle revoyait souvent ce cadavre dans ses pensées, malmené pour venger une petite fille jusqu'alors innocente.
Mais innocente, elle ne l'était plus depuis ce jour.
C'était précisément pour cela que cet homme était devant elle, son torse nu exhibant avec arrogance la marque de l’Église qui avait voulu sa mort.
— Jamais je n'aurais pensé qu'un chasseur aurait le cran d'oser se présenter face à moi, dit-elle en le regardant attentivement. Encore moins pour me demander une faveur.
— Je ne demande aucune faveur, répondit-il. Je propose un travail.
Blanche Neige eut un ricanement bref, auquel raisonna l'écho de nombreux rires autour d'elle.
— Comme si l’Église avait conservé de quoi payer mes services !
— Je ne…
Il se tut à l'apparition d'un farfadet portant un panier de pommes dans les bras. Blanche choisit l'une d'entre elles et croqua dedans. Du jus sanglant coula le long de son menton et les yeux du chasseur le suivi du regard. Ses poings étaient crispés de chaque côté de ses cuisses et sa mâchoire était crispée. Il devait sûrement sentir que sa présence face à elle était contre-nature, et il avait raison.
Une fois le farfadet hors de vue, le chasseur reprit :
— Je ne suis pas là au nom de l’Église.
— Vraiment ? Au nom de quoi d'autre un Chasseur pourrait se présenter ?
— Ce pour quoi nous vivons : la chasse.
Blanche Neige l'observa pendant un moment sans rien dire. Ce chasseur était étrange, Blanche Neige était assez surprise de voir que certains, encore aujourd'hui, semblaient si investis dans leur mission. Elle trouvait également cela amusant, mais se retenait bien de le montrer.
Elle croqua de nouveau dans la pomme sanglante et, dès qu'elle eut avalé, lui dit :
— Alors, avec quoi comptes-tu me payer, Chasseur ?
Il baissa la tête, ne supportant pas la vue du fruit sanglant, puis lui répondit :
— Sept cœurs. J'ai cru comprendre que ce chiffre vous plaisait.
Elle sourit, amusée. Effectivement, c'était un chiffre qu'elle appréciait particulièrement. Tous ceux qui voulaient l'approcher se devaient de le savoir avant de faire face à ses compagnons, sans quoi il était impossible qu'ils trouvent son repère, dissimulé par de nombreuses énigmes tournant autour de ce numéro.
— Effectivement, il me plaît. Je choisi les cœurs que je veux, bien entendu ?
— Bien entendu, répondit l'homme.
Elle resta silencieuse un moment, finissant son fruit avant de le jeter à même le sol, tandis que deux morgans lui portaient une coupe d'eau qu'elle utilisa pour se nettoyer le visage et les mains tâchés de sang, retrouvant la blancheur parfaite de sa peau.
— Et bien parle, Chasseur. Quel serait le travail ?
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Cirillo n'avait jamais aimé marchander avec les créatures de la nuit.
Il savait qu'elles étaient ignobles, sournoises et dangereuses, qu'il risquait plus qu'il ne pouvait gagner avec elles. Lors d'une de ses précédentes vies, il avait essayé de travailler avec une sorcière, et était mort de sa malédiction quelques mois seulement après, sans même avoir réussi à causer le moindre désagrément à son vampire.
Pourtant, il était là, face à cette mercenaire réputée pour son talent d'assassin, son amour pour le sang et son armée composée de sept membres de chacune des sept espèces du petit peuple.
Certains étaient assez fous pour sous-estimer la dangerosité d'une fée ou d'un lutin, mais pas Cirillo. Il connaissait bien ces petites créatures vicieuses et, cette fois, il serait suffisamment sur ses gardes pour ne pas se faire avoir.
— Ma proie est enfermée dans la Grotte avec le dernier membre de sa famille, un humain descendant de son frère. Je veux pouvoir me confronter à eux et achever ma mission.
La tueuse leva un sourcil noir.
Installée sur un fauteuil à l'assise molletonnée et au dossier s'évasant au-dessus de sa tête, Blanche Neige se tenait droite, le regardant avec beaucoup de froideur et de dédain. Cirillo ne cilla pas pour autant, la laissant analyser ses paroles.
— Tu sembles être intéressé par sa famille, remarqua-t-elle. Pourquoi ?
— Je ne souhaite pas qu'il reste la moindre trace de son sang dans ce monde.
Il refusait d'en dire plus sur ce sujet, et Blanche Neige n'insista pas. À la place, elle fit venir à elle les petites créatures blondes et nues que Cirillo reconnut comme étant des elfes, accompagnées par les petites fées aux yeux immenses et aux ailes émettant une sinistre couleur verte autour d'elles. Les petits êtres vinrent entourer la femme, grimpant sur son corps sans pudeur, l'un se posant sur ses cuisses, un autre contre son ventre, une troisième se collant contre son sein, et ainsi de suite sur ses bras ou ses cheveux. Malgré cette débauche, la femme restait droite et froide comme la pierre, le regard fixé sur lui.
Cirillo serra les dents mais ne dit rien, tentant de conserver son sang-froid malgré le dégoût qu'il ressentait pour la mercenaire.
Il avait besoin d'elle, ce n'était pas le moment de se mettre à le dos quelqu'un pouvant être une réelle ressource dans sa mission.
La femme murmura quelques paroles, si basses que seuls les petits êtres pouvaient l'entendre. Cirillo attendit patiemment qu'elle finisse, n'interrompant pas un seul instant l'échange, de peur que cela suffise à retourner la tueuse contre lui.
Finalement, les êtres s'éloignèrent et disparurent de sa vue. Blanche Neige le regarda de nouveau et s'adressa à lui :
— J'ai compris ta demande. Néanmoins, aucun Chasseur n'a mis les pieds à la Grotte, et aucun Chasseur n'ira jamais.
Son souffle se bloqua de frustration mais il ne bougea pas le moindre muscle, se forçant à attendre qu'elle en dise plus. Elle semblait vouloir ce travail, il devait donc la laisser aller jusqu'au bout.
— Par contre, j'estime que les humains n'y ont pas leur place non plus, qu'ils ne valent pas mieux que vous.
Elle s'avança dans son fauteuil, sa longue robe de soie bleue ondulant sous ses genoux.
— Je trouverai le moyen de les faire partir. Mais tu devras m'offrir quatre cœurs avant toute chose. Les trois derniers devront être amenés le lendemain de votre rencontre.
Cirillo ne réagit pas. S'il parvenait enfin à tuer son vampire, il doutait d'être en mesure d'offrir quoi que ce soit à qui que ce soit. Peut-être trépasserait-il sur le coup, ou bien la folie le prendrait. Quoi qu'il en soit, les conditions lui semblaient justes, il accepta donc.
Le sourire froid de la femme, quand elle le vit, l'aurait fait frissonner si un cœur battait encore d'émotion dans sa poitrine.
Mais son cœur n'était qu'un organe sans plus d'importance que ses membres, une simple partie de l'arme qu'il était devenu au fil des vies…
Tout ce qui comptait, à ses yeux, était son vampire.
Même Blanche Neige ne lui faisait pas peur.
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Sept nains pour la secourir
Sept gnomes pour la protéger
Sept Morgans ramassés dans la rivière
Sept farfadets pour éclairer de nouveau son cœur
Sept elfes pour attaquer ses ennemis
Sept fées pour soigner ses plaies
Sept lutins pour l'aimer
Et Blanche, froide comme la neige, sombre comme le sang,
Gardait son armée à ses côtés,
Avec dans la main
Le cœur sanglant de ses ennemis.
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