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Thème :
Je dédie ce petit conte de Noël à "un vieux con unijambiste" que j’aime fort

Les lutins touchent du bois

 

 

Le traîneau freina dans les airs puis se posa sur le toit avec la délicatesse d’une plume, sans faire le moindre bruit ni même déranger la neige posée en équilibre sur les tuiles.

Les lutins s’échangèrent un regard inquiet tandis que le Père Noël descendait du traîneau en jurant. Il enfila sa hotte puis clopina jusqu’à la cheminée devant laquelle il s’arrêta. Il contempla le tuyau avec mauvaise humeur. Il posa ses mains dessus, tenta de s’appuyer, jura, changea de position, jura encore, puis donna un coup de jambe de bois dans les briques de la cheminée.

Prenant son courage à deux mains, un des lutins se décida à prendre la parole :

— Père Noël, nous devrions peut-être nous en occuper ?

Il se ratatina sur lui-même face au regard noir qu’il reçut en réponse.

Le Père Noël fusilla une dernière fois la cheminée du regard avant de faire demi-tour. Un instant, les lutins eurent l’espoir de voir leur patron renoncer en le voyant revenir vers le traîneau, mais c’était mal le connaître :

— Pose le traîneau en bas, ordonna-t-il en s’asseyant à l’avant.

— En bas ? s’étonna la lutine qui tenait les rênes des rennes.

— Dans la rue ? insista un de ses collègues.

— Mais, vous êtes sûr ? demanda un troisième à l’arrière du traîneau.

S’impatientant, le Père Noël les coupa en criant :

— Allez ! Plus vite que ça !

Il ne se laisserait pas convaincre par les tentatives de ses lutins de le raisonner.

Ils auraient préféré le voir agir avec plus de prudence et de précautions… Mais la prudence, c’est pour les faibles. Lui, Père Noël, il faisait son devoir !

Répondant enfin à sa demande, la lutine alla poser le traîneau devant la porte d’entrée de la maison.

Les lutins observèrent le Père Noël boiter en direction de la porte. Ils se demandaient comment il comptait entrer discrètement à l’intérieur de la maison sans réveiller personne. Il était si puissant ! Les lutins étaient vraiment curieux et impatients de savoir à quel miracle ils allaient assister aujourd’hui.

Allait-il utiliser la fameuse magie de Noël pour se glisser à travers la serrure ?

Allait-il se dématérialiser pour traverser la porte sans l’ouvrir ?

Allait-il téléporter les cadeaux directement sous le sapin sans même avoir besoin d’entrer ?

Le Père Noël leva le bras et tous les lutins retinrent leur souffle.

« Ding Dong ! »

Les lutins ouvrirent la bouche, stupéfaits.

— Il vient de sonner à la porte ?

« Ding Dong Ding Dong Ding Dong ! »

— Père Noël, paniqua un lutin en se précipitant à ses côtés. Arrêtez, ils vont vous entendre !

— Ils ont intérêt à m’entendre, parce que je vais pas rester debout devant chez eux toute la nuit !

Il se remit à sonner frénétiquement jusqu’à ce que des pas lourds se fassent entendre à l’intérieur. Le lutin couina d’inquiétude avant de se rendre invisible, tout comme le traîneau. La porte s’ouvrit brusquement sur le visage furieux d’un homme :

— Non mais ça va pas de sonner à des heures pareilles ?

Son visage se peint cependant de surprise en voyant qui se tenait face à lui : le Père Noël en personne !

N’accordant pas un sourire ni une excuse, le Père Noël plongea sa main dans sa hotte et en sortit trois paquets enrubannés de couleurs vives qu’il fourra dans les bras de l’homme.

— Joyeux noël, lâcha-t-il sur le même ton où l’on dit « Me fais pas chier ».

Il se détourna en grognant et clopina jusqu’à la porte suivante sur laquelle il tambourina, en l’absence de sonnette.

Et ainsi de suite pour chaque maison de la rue, de la ville et de tout le pays : le Père Noël allait à la porte, sonnait ou tapait jusqu’à ce qu’on lui ouvre, donnait les cadeaux en souhaitant un Joyeux Noël d’un air sinistre, puis repartait s’attaquer à la suivante.

Les lutins, atterrés par le comportement de leur patron, se tiraient le bonnet en échangeant des regards paniqués sans savoir quoi faire. Ce n’était pas du tout ça, l’esprit de Noël ! Où étaient la joie et la bonne humeur ?

Pire que cela : le Père Noël brisait toutes les règles : il ne passait pas par la cheminée, ne descendait pas silencieusement au sapin pour déposer les cadeaux et ne prenait pas le temps de manger les biscuits ou de boire le lait chaud ! Que faire si les enfants découvraient sa présence ? S’ils descendaient voir qui faisait tant de bruit au beau milieu de la nuit ?

L’âge ne lui réussissait pas. Il n’avait jamais eu très bon caractère, mais depuis qu’il était devenu unijambiste, on pouvait dire qu’il était vraiment devenu un vieux con !

La nuit fut surprenante pour les adultes réveillés et terrible pour les elfes stressés. Ces derniers craignaient plus que tout qu’aux aurores, l’arbre magique leur annonce la catastrophe : la disparition de la croyance au Père Noël ou –pire !– la tristesse des enfants. Aux yeux des lutins, il n’y avait rien au monde de plus terrible qu’un enfant triste le jour de Noël…

De son côté, d’humeur égale (c’est-à-dire mauvaise), le Père Noël continua sa tournée jusqu’à ce que chaque foyer eût reçu ses cadeaux. Le vent avait beau être glacé, les parents mécontents d’être sortis du lit, sa jambe douloureuse et son moignon encore plus, cela n’avait pas d’importance.

Il avait un devoir à accomplir, il l’accomplirait, voilà tout !

Ça n’allait pas être une jambe en moins qui allait l’empêcher de faire ce qu’il voulait !

Lorsque vint le matin, le traîneau repartit dans le ciel en direction de la fabrique de jouets.

La lutine qui conduisait tremblait intérieurement à l’idée de voir l’arbre magique plein de tristesse ou de colère. Elle dut se concentrer de toutes ses forces pour les ramener à la maison sans percuter un avion ou se perdre dans les nuages, craignant de déclencher la colère du Père Noël si jamais elle faisait la moindre erreur.

Ils arrivèrent au Pôle Nord et descendirent un à un du traîneau. Le Père Noël, avant de rejoindre les autres, se tourna vers la conductrice et posa une main sur son bonnet.

— Tu as bien travaillé.

Elle resta stupéfaite face à ce compliment inattendu, puis rougit de plaisir jusqu’au bout de ses oreilles pointues. Ses compliments étaient si rares qu’ils prenaient d’autant plus de valeur ! Ce fut donc avec le sourire qu’elle rejoignit les autres.

Ensemble, ils se rendirent jusqu’à l’arbre magique pour attendre le verdict.

Immense et aussi blanc que la neige, il était décoré de mille petites boules argentées. Ce serait le changement de couleur des boules leur révélerait le verdict de cette année : en se tâchant de vert pour chaque famille heureuse ou en se colorant de jaune pour chaque mécontentement. La pire couleur était cependant le rouge : elle signifiait qu’un enfant était triste. Tous les lutins craignaient de la voir plus que tout les reproches que pourraient faire le Père Noël.

Le soleil se leva finalement quelque part à l’Est de la planète pour célébrer le 25 décembre, et les premières lumières apparurent sur les boules de l’arbre magique.

Du vert, du vert et toujours du vert. Chaque seconde passant, l’arbre prenait de plus en plus des airs printaniers et aucun rouge ne venait gâcher le spectacle.

Lorsque toutes les boules furent illuminées, les lutins laissèrent entendre leur joie, criant de bonheur et se sautant dans les bras joyeusement.

Malgré les circonstances exceptionnelles de la livraison des cadeaux, ce Noël s’était passé à la perfection !

La magie avait fait son œuvre : seuls les parents avaient été réveillés par le fracas du Père Noël, les enfants avaient dormi comme des loirs et étaient ravis de découvrir les cadeaux au matin.

Une chance pareille, c’était vraiment ce qu’on pouvait qualifier de miracle de Noël.

FIN

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