

Thème imposé :
un vêtement que l'on aime ou que l'on déteste
Les ballerines
Ce n’était pas moi qui les avais choisies, c’était un cadeau.
Elles étaient rayées, bleu foncé et blanche, comme une marinière. Étroites, elles étaient faciles à enfiler, confortables, souples. À la mode surtout.
Toutes les autres du groupe en avaient. C’était à la fois le signe d’une adhésion à un objectif commun, la popularité, et le signe d’une appartenance au groupe. Nous avions des styles de vêtements différents, des coiffures différentes, des portables différents, mais nous étions toutes en ballerine.
Cela me convenait. J’étais heureuse d’en porter, d’avoir les mêmes chaussures que mes copines, de rentrer dans le moule, dans cet unique et petit moule où nous étions entassées toutes les cinq. Comme mes cinq orteils étaient serrés les uns contre les autres dans leur fourreau.
Parce que ce n’était pas parfait. Je transpirais dans ces chaussures qui laissaient des traces noires sur mes pieds, qui ne tenaient pas mon talon si je voulais courir, qui m’empêchaient de grimper aux arbres.
J’essayais de me dire que ce n’était pas grave. Il n’y avait même pas d’arbre dans mon collège.
Et pourtant, l’idée ne me quittait pas totalement, restant toujours en périphérie, dans un coin de mon esprit, tandis que dans un coin de l’œil, je voyais les ballerines de mes copines.
Elles n’étaient pas mes amies. Moins que cela pour la plupart. Un peu plus pour l’une d’entre elle. Mes sentiments, comme les leurs, je suppose, différaient de l’une à l’autre. Pourtant, on se souriait toutes de la même façon, sans la moindre individualité.
J’ai tenu une année avec ces ballerines rayées bleu et blanche, les portant presque tous les jours, jusqu’à menacer de percer le devant, jusqu’à rendre trop fin le dessous.
Je sentais les reliefs du sol sous mes pieds lorsque je marchais, les cailloux qui rentraient dans la plante, comme un rappel quotidien de ce qui n’allait pas, à chacun de mes pas sur ce chemin qui n’était pas le mien.
Ces chaussures que j’avais tant aimées étaient un mensonge. Une sorte de masque que l’on ne met pas sur le visage, pour jouer un rôle dans ce spectacle éreintant où les ballerines tournent en rond encore et encore devant la glace, sans jamais regarder autre chose que leur propre reflet.
Un jour, enfin, j’en ai eu marre de tenir, de m’accrocher à cet objectif stupide, à ces relations superficielles.
J’ai enfilé une paire de basket.
Fini la danse, j’allais retourner grimper aux arbres.